L’hydrogène – Un vecteur coûteux mais incontournable pour la transition énergétique
Début septembre, le gouvernement français a annoncé la mise en place d’un plan de relance axé sur le développement de l’hydrogène. 7 milliards d’euros dont 2.4 milliards d’ici 2023 sont prévus pour développer une filière hydrogène française au premier niveau mondial.
Plusieurs appels à projets dédiés à l’hydrogène ont été déployés dans le but d’appuyer cette ambition de développement. L’appel à projets « Ecosystème et hubs territoriaux » par exemple participe aux investissements dans des écosystèmes qui associent infrastructures de production, distribution et usages de l’hydrogène. L’appel à projets « Ecosystème et hubs territoriaux » tend à aider les investissements dans des écosystèmes qui associent infrastructures de production, distribution et usages de l’hydrogène. Les usages majeurs visés aujourd’hui sont les suivants :
- Les usages industriels : décarbonation des procédés utilisant de l’hydrogène
- La mobilité lourde
- Les applications stationnaires via des piles à combustibles, dans les zones insulaires ou isolées
Naldeo Technologies & Industries (NTI) se propose via cet article d’exposer les résultats d’une étude de cas comparative conforme aux usages décrits précédemment. Cette étude se basera sur l’utilisation d’un logiciel de simulation multi-énergie ENERSQUID développé par Naldeo et gratuitement accessible sur le lien suivant : www.enersquid.com
Scénarios industriels
Pour illustrer un cas pratique adressable par les appels à projets, NTI se propose de simuler un projet de décarbonation d’une partie de la consommation en hydrogène d’une raffinerie, soit l’équivalent de 10 kt H2/an par exemple. En effet, les procédés de désulfuration des dérivés pétroliers sont fortement consommateurs en hydrogène, aujourd’hui majoritairement produits par voie de vaporeformage. Trois scenarii de comparaison sont considérés dans le cadre de notre étude :
Scenario 1 : L’ensemble de la production est assuré par vaporeformage sur le site, le coût de production associé est estimé à 2 €/kg d’hydrogène. Sur certains sites, les installations de vapocraquage se voient vieillissantes et requièrent une refonte et une remise en norme.
Scenario 2 : Production d’hydrogène bas carbone via un électrolyseur de type PEM (Proton Exchange Membrane) de 58 MWe à partir d’électricité du réseau électrique français bas carbone.
Scenario 3 : Production d’hydrogène vert via un électrolyseur de type PEM de 58 MWe avec de l’électricité renouvelable provenant d’un couplage direct avec une centrale solaire de 40 MWc à proximité et un approvisionnement complémentaire sur le réseau avec garantie d’origine. L’ensemble de la production renouvelable est autoconsommé par l’électrolyseur.
En ce qui concerne les taxes s’appliquant à la consommation d’électricité par une installation hydrogène, différents points sont à aborder :
- Tout d’abord, dans le cas d’un approvisionnement de l’électrolyseur avec l’électricité du réseau, la CSPE et la TLCFE sont exonérées (4.1 de l’article 266 quinquies C du Code des douanes et L3333-2 du Code général des collectivités territoriales). Le TURPE est quant à lui inchangé.
- Si l’électrolyseur est directement raccordé à une source de production locale dans le cadre d’un schéma d’autoconsommation, la CSPE et la TLCFE sont exonérées pour une autoconsommation totale si la production annuelle du site est de moins de 240 GWh ou pour une autoconsommation partielle si la puissance crête (cumulée) du site est de moins de 1 MWc. Par ailleurs, selon le schéma d’autoconsommation (totale ou partielle, collective ou individuelle – voir articles L315-1 à L315-8 du Code de l’énergie-), les composantes de comptage, soutirage et gestion du TURPE peuvent être exonérées ou réduites.
Ainsi, nous considérons un prix de l’électricité du réseau fixé à 70 €/MWh pour un consommateur industriel électro-intensif telle qu’une raffinerie, taxes et TURPE inclus. Le coût actualisé de la production solaire a été estimé à 60 €/MWh à partir des hypothèses données en annexe.
Les résultats (figure 1) montrent un résultat sensiblement comparable pour les scenarios 2 et 3 avec un hydrogène produit à 4.2-4.3 €/kg
Figure 1: Coût de production H2 par scenario
Figure 2 : Cascade des coûts – Scenario 2
Figure 3 : Cascade des coûts – Scénario 3
Pour les scenarios 2 et 3, le coût de production est majoritairement engendré par l’achat de l’électricité sur le réseau représentant près de 75-80% du coût total.
D’un point de vue environnemental, le procédé de vaporeformage émet près de 10 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit, une amélioration nette d’un facteur 3 est observée pour les scenarios 2 et 3. En effet, le contenu carbone de l’hydrogène des scénarios 2 et 3 ont été évalué à 3.0 et 2.8 kg CO2 / kg H2. Selon la taxonomie européenne actuelle, l’hydrogène est considéré comme vert en dessous d’une valeur seuil de 2.256 kg CO2/kg H2. Si l’on prend en compte l’intégralité du cycle de vie (i.e. bilan carbone complet), cet hydrogène ne serait donc pas suffisamment décarboné, au regard du seuil actuellement à l’étude au niveau européen.[1]
Avec ces hypothèses, la parité de coût de production entre les scénarios 1 (vaporeformage du méthane) et 3 (hydrogène vert) peut être atteinte avec une taxe carbone de 300 €/tCO2.
Scénario mobilité hydrogène
Etudions à présent un scenario de production d’hydrogène décentralisé à proximité d’une station hydrogène approvisionnant une flotte de 20 bus soit l’équivalent de 400 kgH2/jour. Un électrolyseur de 1 MWe associée à une centrale solaire de 1 MWc permettent de produire de l’hydrogène, qui est ensuite compressé et distribué dans une station de distribution. Un stockage tampon de 1 tonne d’hydrogène à 200 bar permet de lisser la demande.
Pour ce faire, nous avons considéré une courbe de charge typique d’une flotte captive se rechargeant tous les soir avant stationnement, cette courbe est illustrée ci-dessous :
Figure 4 : Courbe de charge – Flotte de bus
Pour satisfaire la courbe de consommation, il serait donc erroné de considérer un approvisionnement électrique de l’électrolyseur uniquement au moment de l’année où les prix Spot sont faibles (plutôt l’été) ou encore en se basant uniquement sur une installation photovoltaïque produisant majoritairement d’avril à septembre.
Dans ce cadre, nous utilisons Enersquid afin de modéliser le comportement du champ PV, de l’électrolyseur et du stockage à un pas horaire. Pour illustrer cela, la courbe ci-dessous décrit le profil de production du champ PV, de l’électrolyseur et du réseau électrique utilisé en période de faible ensoleillement.
Figure 5 : Profile de production – Courbe Enersquid. Le stockage d’hydrogène permet de lisser la courbe de consommation et ainsi augmenter le facteur de charge de l’électrolyseur, qui produit de l’hydrogène de façon constante.
Les résultats de simulation montrent un prix de l’hydrogène à la pompe à 7.3 €/kg. Ce coût est plus élevé que les coûts précédents pour de nombreuses raisons dont la nécessité de comprimer et de stocker l’hydrogène, et au coût important de la station de distribution.
Optimiser l’approvisionnement énergétique ?
Dans la mesure où l’achat d’énergie sur le réseau constitue une part très importante du coût final de l’hydrogène (environ 50% ici), nous avons étudié la possibilité de la baisser en privilégiant les heures les moins chères sur le marché du spot.
On remarque en effet la forte variabilité des prix du marché spot, qui ont variés sur l’année 2019 entre 148 €/MWh et -58 €/MWh, pour une moyenne à 40 €/MWh. Pouvoir consommer lors des périodes de faibles prix présente donc un intérêt très important. Cependant, cela requiert une certaine flexibilité : il faut pouvoir consommer plus lors des périodes de prix bas puis stocker sous forme d’hydrogène. Cette flexibilité a un coût : celui du surdimensionnement de l’électrolyseur et du stockage.
Nous avons donc développé un algorithme de gestion de l’énergie sur Enersquid, qui optimise les achats d’énergie sur le prix spot.
Figure 6 : Courbes de fonctionnement de la centrale énergétique. L’électrolyseur produit à pleine puissance (surdimensionnement à 2MW dans ce cas) lors des pointes sur le prix spot et à puissance plus faible lors des prix fort. Lorsque la centrale PV produit, l’électricité est toujours utilisée pour produire de l’hydrogène. La production et la consommation d’hydrogène ne sont pas synchrone, ce qui est possible grâce au stockage d’hydrogène.
En faisant varier les dimensionnements de l’électrolyseur, il est dont possible de déterminer si une telle stratégie peut être payante. Les algorithmes d’optimisation d’Enersquid nous ont permis de conclure que ce n’est pas le cas. En effet, le gain généré sur l’approvisionnement énergétique est à chaque fois inférieur au surinvestissement sur l’électrolyseur et le stockage. Ce résultat dépend fortement des hypothèses de la modélisation, et la tendance pourrait à l’avenir s’inverser si le spread[2] augmente ou si les coûts des équipements ou le taux d’actualisation (accès au capital) diminue.
Comparaison avec un bus thermique
Cette valeur nous permet de calculer le coût marginal du kilomètre d’un bus thermique classique et d’un bus H2 :
- La consommation d’un bus H2 est d’environ 10 kg d’H2 pour 100 km, soit un coût de 0.73 €/km
- La consommation d’un bus thermique est de 56 L de diesel pour 100km, soit un coût de 0.56 €/km.[3]
Le coût marginal du km augmente donc de 30% lorsqu’on passe d’un bus thermique classique à un bus H2. A cela, il faut ajouter le coût d’investissement qui est beaucoup plus important pour un bus à hydrogène dû à la valeur d’une pile à combustible.
Coût d’investissement bus thermique diesel | 240 k€ |
Coût d’investissement bus H2 | 730 k€ |
Coût de maintenance sur la durée de vie du bus (bus H2 & bus thermique) | 180 k€ |
L’appel à projet de l’Ademe permet de bénéficier d’une subvention de 180 k€ au maximum, pour une moyenne entreprise. Nous avons retranché cette valeur à l’investissement pour le bus H2.
Prendre une hypothèse de circulation de 200 km par jour sur 20 ans permet de calculer un coût complet du km parcouru qui sera de :
- 0,8 €/km pour le bus thermique, pour une émission de 1.8 kg CO2 eq/km
- 1,2 €/km pour le bus à hydrogène, soit une augmentation de 45% pour une émission de 0.3 kg CO2 /km.
Dans cette configuration, la taxe carbone qui permettrait une parité des coûts entre scénario thermique et scénario H2 est à 260 €/tCO2.
Conclusion
Cette étude de cas nous a permis de comprendre des scénarios de décarbonation de deux secteurs très émetteurs en gaz à effet de serre : l’industrie lourde et la mobilité. Dans les deux cas, l’hydrogène bas carbone permet de réduire significativement leur empreinte environnementale, mais reste un vecteur très couteux à produire. Se pose donc naturellement la question du financement de ces installations, des leviers permettant de réduire leur coût et des sources de financement accessibles. Dans le cas d’une production par électrolyse de l’eau, le couplage du réseau à une source renouvelable décarbonée et compétitive, les possibilités de subventions, et les exonérations de taxes et de tarifs réseaux sont des pistes intéressantes qui permettent de réduire les coûts, mais sont actuellement insuffisantes.
Comment rendre alors ces modèles d’affaires rentables ?
La piste d’une augmentation de la taxe carbone n’est pas à négliger mais risque de fragiliser notre économie si elle désavantage les industries françaises ou européennes par rapport à la concurrence internationale. La possibilité d’une taxe carbone aux frontières est peut-être alors inéluctable. Les pronostics d’augmentation du cours du quota carbone tablent sur des valeurs de 35 à 40 €/tonne sur les 5 prochaines années, ce qui est un ordre de grandeur en dessous des seuils de parité calculés.
L’apprentissage de la filière hydrogène permettra certainement de faire baisser les coûts de production des électrolyseurs et pile à combustible. Jusqu’à quel point ? La diminution des prix sera-t-elle comparable à ce que nous avons connu pour les batteries et les panneaux solaires photovoltaïques, qui ont connu une division de presque de 10 sur les 10 dernières années ? Autant de questions peu évidentes à répondre. Une chose est certaine : une baisse importante ne suffira pas à elle seule car on l’a vu, environ 75% du coût complet de la production l’hydrogène vert en sortie d’électrolyseur provient de l’achat d’électricité. Les possibilités d’optimiser l’approvisionnement électrique, en privilégiant les périodes de faible prix est une piste très intéressante. Cependant, nous avons vu que dans les hypothèses de cette étude elle n’est pas rentable.
Enfin, peut-être qu’une partie de la réponse viendra du consommateur, qui pourrait-être prêt à acheter plus cher un produit moins carboné ? Si un indicateur carbone des produits de grandes consommations émerge, le consommateur pourra peut-être un jour connaitre précisément les émissions carbones des produits qu’il achète…
[1] https://www.euractiv.com/section/energy-environment/news/eu-taxonomy-shutting-the-door-to-grid-powered-hydrogen-critics-say/
[2] Différence entre la valeur du spot la plus haute et la plus basse, sur une journée par exemple
[3] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/autobus-urbains-2015.pdf
Bibliographie
fiche_pedago_contenus_carbone_des_energies.pdf (connaissancedesenergies.org)
Rédacteurs : Louis Dusanter et Rémi Farwati